La cour d'assises de l'Hérault vient de rendre son verdict : Michel Boulma et Bouziane Hélaili ont été condamnés à 20 ans de réclusion pour l'assassinat d'Abdelaziz Jhilal le 21 décembre 1997 de 108 coups de couteau à Lunel.
Michel Boulma et Bouziane Hélaili ont été condamnés à 20 ans de réclusion pour l'assassinat d'Abdelaziz Jhilal le 21 décembre 1997 de 108 coups de couteau à Lunel.
Revivez le procès de Michel Boulma et de Bouziane Hélaili.
9 h 15 , réquisitoire de Manon Brignol.
" c'est un dossier complexe. Il manque des pièces du puzzle. On nous ment, il est extrèmement difficile de savoir qui a fait quoi .
Je ne sais pas si on peut parler d'erreur judiciaire pour Azzimani et El Jabir mais on peut parler de mensonges de la part des uns et des autres, qui ne permettent pas de savoir pourquoi et comment Abdelaziz Jhilal a été tué sur ce sinistre chemin de terre de Lunel au premier soir de l'hiver 1997. Il y a aussi une loi du silence qui règne en maitre sur ce milieu de toxicomanes. Dans ce dossier les gendarmes, les juges et les experts n'ont pas ménagé leurs efforts. Et ça fait 17 ans que ça dure. Nous ne sommes pas là pour rejuger Azzimani et El Jabri, ils le seront prochainement à Nîmes, mais on devra revenir sur le processus judiciaire qui les a amenés à être condamnés à deux reprises pour ce crime. Ce n'est pas un hasard s'ils ont été soupçonnés, mis en examen et incarcérés. Les perquisitions sont fructueuses ; 138 000F chez Azzimani, 60 000 chez El Jabri, une arme et 81 munitions. Dès le début ils vont multiplier les mensonges. Les appels qu'El Jabri dit avoir passé sont plus tard que ce qu'il dit , vers 21h 30, et le troisième de 40 minutes n'existe pas. Condamnés, ces deux là vont engager un combat qui va les amener à saisir la cour de révision des condamnations pénales en 2008, qui va suggérer de rouvrir l'enquête. En 2010 ils sont remis en liberté. Durant toutes ces années, plus de dix ans, les noms de Michel Boulma et de Bouziane Hélaili ne sont apparu nul part. Pourtant ce ne sont pas les rumeurs qui manquent à Lunel. Seul celui de Bouziane apparaît à travers une phrase prononcée par la veuve de la victime dès sa première audition. « Mon mari m'avait parlé d'un Bouziane qui lui devait de l'argent.
Si erreur il y a, elle est tragique, mais compréhensible. Les mensonges des uns et le silence des autres ne pouvait qu'aboutir à la condamnation. Si erreur il y a , les accusés eux-mêmes en portent une part de responsabilité.
En 2010, on nous apprend que le profil génétique de Michel Boulma apparaît dans le fichier. Boulma va petit à petit consentir des aveux, qui permettent de commencer à reconstruire le puzzle. Ses déclarations amènent les gendarmes à nier toute responsabilité dans ces faits. On aurait pu espérer que ce procès aurait permis à la vérité d'éclater. Nous avons eu droit pendant trois jours à des mensonges, à un nombre incalculable de mensonges, dans le but d'échapper à la justice et à d'éventuelles représailles. Des mensonges qui disent tout de leur lâcheté. La famille de la victime repartira de cette audience sans avoir obtenu soulagement et satisfaction."
La magistrate rappelle ensuite les versions des deux accusés, "qui ne sont pas crédibles". "Rien ne tient dans les déclarations de M. Boulma. Idem pour M. Hélaili, ils disent qu'après ils se sont revus, recroisés, mais qu' ils n'en ont plus jamais parlé. La version de M. Hélaili est peut-être un petit peu plus sincère car il reconnaît avoir participé dans un dernier temps sur l'ordre de poignarder donné par Boulma. Elle est peut etre plus sincère, mais elle est plus grotesque, car le bon sens nous empêche d'y croire. Tout cela n'a aucun sens. De nombreuses zones d'ombre persistent. Devront-elles profiter aux accusés ? On a des certitudes dans ce dossier qui vous permettront de les condamner sans le moindre état d'âme. Nous avons les aveux d'Hélaili, qui permettent de savoir qu'il a porté des coups de couteau.
Le scenario qui se dégage dans cette affaire est celui qui a été évoqué hier par l'avocat de la partie civile. A l'époque tout le monde est endetté dans ce milieu des trafiquants de drogue. Azzimani et El Jabri doivent des sommes considérables à leurs fournisseurs, Aziz Jhilal doit des sommes à El Jabri et Azzimani. Ce sont des dettes qui sont en cascade, et dans un milieu qui n'est pas tendre. C'est un milieu dans lequel on ne se fait pas de cadeau. Et on va décider de faire un exemple. Cette thèse est séduisante, car la manière dont Aziz a été tué ne correspond pas à un meurtre impulsif. Cet acharnement, cette mise en scène qui laisse le corps supplicié exposé aux regards sur la voie publique correspond plus à un exemple, destiné à dire à tous les trafiquants de Lunel : vous voyez ce qui arrive quand on ne paie pas ses dettes.
La question qui reste est de savoir s'ils n'ont été que deux. Des tiers supplémentaires ? Sans doute. Il reste des ADN non identifié s sur la scène de crime, et je n'exclue pas qu'il y ait dans les prochaines années des rebondissements dans cette affaire. El Jabri et Azzimani ? Je fais partie des sceptiques quand ces deux là clament leur innocence. Je regrette qu'ils ne nous disent pas la vérité sur tout ce qu'ils savent.
Qui a porté les coups mortels ? Nous avons assisté à un spectacle que j'ai trouvé désolant de la part des deux médecins légistes qui étaient en contradiction. L'un disait blanc, l'autre disait noir. Ce débat n'était pas capital : il existe une notion en droit qui s'appelle la coaction : participer volontairement à une action criminelle, que l'on ait ou pas le rôle principal. On considère que tous sont coupable. Si on sait qu'une victime a reçu des coups de plusieurs personnes, meme si on ne sait pas qui a porté le coup mortel, on considère que tous sont coupables. Il est évident que les deux accusés doivent être déclarés coupables. Concernant M. Hélaili, j'imagine qu'on va vous dire qu'il était dans un état de sidération qui va l'amener à faire n'importe quoi. Je n'y crois pas. Dans un acte prémédité, il n'y a pas de sidération. S'ils sont restés silencieux quand El Jabri et Azzimani ont été condamnés c'est parce qu'ils savent qu'ils ne sont pas étrangers à ces faits.Entre ces deux accusés, il semble qu'il n'y a malgré tout cela à aucune animosité. Chacun accuse l'autre d'être un assasin, et ni l'un ni l'autre ne semble révolté par les déclarations de l'autre. Pour ces faits, Azzimani et El Jabri ont été condamnés à vingt ans de réclusion criminelle. Certes les peines doivent être individualisées. Mais il faut prendre en compte la gravité intrinsèque des actes qui sont commis. L'assassinat est l'acte le plus grave réprimé par notre code pénal de la réclusion criminelle à perpétuité.
Nous sommes en présence d'un assassinat crapuleux, d'un règlement de compte pour terroriser, avec un acharnement tout à fait inutile. Cette gravité des faits est peut-être atténuée par la jeunesse des accusés, et par le contexte : M. Jhilal vivait dangereusement. Mais ces éléments d'atténuations sont contrebalancés par le silence pendant 14 ans. C'est un élément que vous devez prendre en considération. Ce silence est terriblement coupable.
Vous devrez aussi prendre en compte l'attitude de ces deux là à l'audience. Azzimani et El Jabri ont été condamnés à 20 ans . Faut-il faire un distingo entre les deux ? Oui, mais pas trop. Hélaili a eu une volonté de rédemption et un parcours de rachat, un parcours d'intégration exemplaire, et surtout il assume ses responsabilités un peu plus que Michel Boulma. Ce serait un message à leur faire passer. Je requiers une peine de vingt ans contre Michel Boulma, et 18 ans contre Hélaili3".
Le réquisitoire de l'avocat général est terminé. La magistrate demande 20 ans de réclusion criminelle pour Michel Boulma et 18 ans pour Bouziane Hélaili.
10 h 40 Reprise de l'audience avec les plaidoiries de la défense.
Plaidoirie de Me Anthony Chabert, avocat de Michel Boulma
"Jamais je n'ai assisté à une audience aussi surréaliste.Nous avons basculé depuis quelques jours dans quelque chose d'irrationnel. La raison est sortie de ce prêtoire, comme pendant ces trois années d'instruction. Il est extrèmement difficile d'employer le mot comprendre. Je ne comprends pas tout à ce qui se passe pendant ces quatre jours de procès. Je n'ai pas compris les plaidoirire, le réquisitoire ; Je me retrouve dans la position de Michel Boulma qui dit depuis le départ qu'il n'a pas compris ce qui s'est passé le 21 décembre 1997. C'est la première fois que j'entend un réquisitoire pareil. C'est effrayant. Moi aussi, je vais émettre un scenario. Nous sommes tous ici de grands scénaristes. On vous demande d'en choisir un. On vous dit que vous ne pouvez comprendre ce procès que si Azzimani et El Jabri ont quelque chose à voir dans cette affaire. J'en ai rêvé, depuis trois ans, que Michel Boulma me dise un jour : Maître, nous n'étions pas seuls. Mais non. Ce garçon est depuis 32 mois à l'isolement. Enfermé 22 h sur 24, enfermé dans sa solitude. Il ne se parle qu'à lui-même, en boucle. Nous ne sommes que trois à le maintenir au contact de la réalité. Sa femme, sa sœur et moi. Et pour le reste, il est enfermé dans sa tête, à répéter cette logorrhée. Depuis trois ans, j'ai l'impression d'être dans la série Cold Case. A essayer de savoir ce qui s'est passé 16 ans avant. Et on est confronté à Lunel, comme dans un roman de Gabriel Garcia Marquez.
Tout est surréaliste à Lunel. Une loi du silence. Des pressions, des tensions monumentales, parce que nous sommes dans un dossier connoté par le trafic de stupéfiant. Dans la plaque tournante du trafic de stupéfiants de la région, avec ses nombreuses familles qui se partagent le gateau. C'est dans ce contexte que se produit le meurtre d'Azouz. Et aujourd'hui on vous demande de comprendre ce qui s'est passé. Michel Boulma, dès qu'il parle, c'est maladroit. C'est un handicapé de la parole. A Lunel, c'est un canard. Exit le Renard. Le Canard, ça veut bien dire ce que ça veut dire. Il n'a pas son mot à dire à Lunel. Tu viens d'arriver, tu te tais, tu te fais arnaquer. Tout l'entourage de Michel Boulma ne vient pas de Lunel. Il a tout ce qui fait pour déplaire. Vous voulez nous faire croire que c'est ce garçon là qui a monté l'arnaque, le guet-appens, qui a fait venir Aziz dans le petit chemin des Etoffes ? Lui, à qui on ne donne que le droit de revendre à la barrette sur la Placette, qui a monté ce scenario ? Azouz est semi-grossiste, et son bras droit, c'est Bouziane. Jamais vous me ferez croire que c'est Michel qui est à l'origine des cinq kilos à vendre aux gens de Bollène ou d'ailleurs. Je ne sais même pas si ce soir là les cinq kilos ont été livrés.
La victime,Abdelaziz Jhilal.
Je ne comprends pas pourtant comment le nom de Bouziane Hélaili n'est jamais sorti, alors qu'il était le bras droit d'Azouz, au point que lorsqu'Azouz part au Maroc au mois d'août, il lui donne les clés du camion : il lui laisse 40 000 F pour qu'il continue le trafic.
Quand Azouz part, il laisse les 40 000 F et bien entendu il le mets en contact avec ses fournisseurs, Azzimani et El Jabri. Je crois que le chainon manquant du premier dossier et de celui d'aujourd'hui, c'est Bouziane Hélaili. La première cote, le premier rapport de synthèse dit qu'Azzimani et El Jabri sont mécontent contre Azouz car lorsqu'il a laissé son trafic à un inconnu pendant l'été, cet inconnu n'a pas remboursé toutes ses dettes. Bien sûr j'élabore aussi mon scenario. Mais une des clés, c'est ce lien toujours caché entre Bouziane Hélaili et Azzimani-El Jabri.
S'il y en a un qui a un mobile pour en vouloir à Azouz, c'est Bouziane Helaili. Depuis le départ on dit que Boulma raconte n'importe quoi. Je vous supplie d'avoir un regard un peu plus neutre sur Michel Boulma. Il n'a de dettes envers personne. Quelle est sa dette ? Quel est son intérêt ? Ce soir-là, j'ai le sentiment qu'Azouz a donné rendez-vous avec Michel pour lui donner son bout. Que derrière, il y a une autre transaction, avec Bouziane, avec je ne sais pas qui. Et que tout d'un coup, Bouziane est passé à l'action. Il est alors revendeur à la savonnette, il y a l'affaire du Luxembourg, ça ne le gène par de consommer de la cocaïne. Il n'est plus le même aujourd'hui. Boulma au contraire est resté le même, il a continué à se désécher, à devenir de plus en plus inaudible. Parce que ce soir-là il a assisté à l'inconcevable, au coup de folie de Bouziane Helaili. Cocaine, dettes, mise à l'amende par Azouz... l'humiliation...Comment se livrer à un tel acte ? Une fois les premiers coups partis, rien ne s'arrête. Pourquoi le faire devant Michel Boulma ? Parce qu'il ne le craint pas. Parce que Boulma n'est pas de Lunel, parce qu'il peut le maîtriser. Il sait qu'il n'a pas d'amis. Akima, sa femme vous l'a dit : même lorsqu'elle se fait traiter de sale arabe, il ne bouge pas.
Quand il voit Hélaili faire ça, il est pétrifié. Il va le dire à qui ? Il n'a pas d'ami, et ses cousins, ce sont les amis de Bouziane. Quand ça débute, il a la seule réaction normale : il met les mains pour les séparer. Et il prend un coup de couteau. C'est là qu'il est blessé, qu'il y a du sang, l'ADN. Bouziane n'a eu de cesse de s'adapter au dossier, et de décrédibiliser Michel. Est ce que sa version est crédible ? Même si on s'en tient à la thèse du "grand professeur Baccino" il y a beaucoup plus de coups portés par Bouziane que ce qu'il reconnaît. Vous avez vu la scène pitoyable à laquelle on a assisté hier. Le Pr Dorando a été obligée de se "coucher ", parce que le grand professeur a martelé qu'ils avaient signé leurs rapports. Mais le pr Dorandeu a fait l'autopsie, les schemas, elle peut tout expliquer. Et ce qu'elle dit fait complètement voler en éclats la thèse de Hélaili. Il y a deux types de couteau, ça ne peut être que celui de Michel Boulma. Je ne vois pas avec quelle certitude on peut dire qu'il avait un couteau : il est là pour acheter, pas pour vendre. Azouz a eu le poignet tailladé, pour lui faire lâcher quoi ? Le couteau d'Azouz, que Bouziane va utiliser contre lui. Un seul individu peut avoir donné tous ces coups de couteau.
La peur l'a mangé pendant 14 années. Il avait cette peur qu'on dise qu'il y est allé avec Bouziane. Et aujourd'hui, c'est ce qui lui arrive. On les assimile. Boulma n'a rien à faire dans ce dossier. Il ne peut pas faire des excuses : il ne comprend pas ce qui s'est passé.
Sur ces bases, je ne peux que vous demander un acquittement. Vous pouvez vous dire que c'est gonflé. Dans ce dossier, vous n'avez pas de certitude. Vous devez juger un garçon qui avait 18 ans au moment des faits. Qui est à l'isolement depuis 32 mois. Ce garçon a peur. Il vit recroquevillé. Bouziane, toujours magnifique sur la voie de la rédemption, il vit sans pression, il évolue bien dans le milieu carcéral. Il ne craint rien.
Boulma, ce qu'il a vécu, est inracontable, surréaliste, comme ce qui s'est passé depuis trois jours, depuis trois ans, depuis seize ans. Sortez le de sa solitude. Cela passe par un acquittement ".
11 h 42 Me Iris Christol, avocat de Bouziane Helaili débute sa plaidoirie
Vous allez repartir pour délibérer avec cinq, six histoires. Je défend un homme qui reconnaît sa culpabilité, dont on vient vous dire qu'il n'y est pour rien. Je ne crois pas qu'on puisse juger sur des histoires. Si aujourd'hui vous êtes en train de juger Bouziane Helaili, c'est parce qu'il l'a décidé. Parce qu'il l'a choisi. Vous devrez le retenir, parce que c'est essentiel. Je vais faire un moment de cynisme. Quand Hélaili est interpellé quinze ans après les faits, le 16 mars 2011, il est interrogé sur les faits. Il ne sait rien de ce que l'autre a dit. Au bout de quelques heures il demande aux enqueteurs d'éteindre la camera. Pour la première fois il va mettre au jour quelque chose d'insoutenable, et c'est déjà tellement dur de le dire aux yeux des enquêteurs, qu'il ne veut pas d'un autre regard. Et quand on rebranchela camera, il fait des aveux. Il dit j'étais là, et j'ai porté des coups. Il change le cours de sa vie. S'il s'était tu, il ne serait pas devant cette cour d'assises.
Si quelqu'un ici assume ses responsabilités, c'est Bouziane. Il n'y a aucun élément matériel, rien ne le désigne. Alors que surtout on ne vienne pas nous dire qu'il essaie d'échapper à la justice. Il a changé son destin pour venir expliquer ce qui s'est passé. A la justice, à la famille. Il est là parce qu'il l'a décidé. Jusqu'il y a peu, Bouziane n'avait jamais regretté son choix. Il a fait ses aveux hors de la présence d'un avocat le 16 mars 2011. Le 16 avril, la cour de Cassation a annulé les aveux passés en garde à vue hors de la présence d'un avocat. Dans les dossiers qui ne tenaient que sur les aveux, chaque personne qui a demandé l'annulation de sa garde à vue a obtenu gain de cause. Je suis allé voir Bouziane chaque mois dans le délai de six mois permettant l'annulation. Il avait pas mesuré qu'il verrait plus ses enfants, qu'il en faisait des enfants d'assassin, qu'il ne reverrait plus sa mère, tout ça, il pouvait l'annuler. Il m'a dit : "J'ai décidé d'être enfermé dans cette prison, mais je me sens plus libre que je ne l'ai jamais été ces quinze dernières années."
S'il avait voulu échapper à la justice, il ne serait jamais dans ce box. Oui, il avait une dette, mais c'était pas une dette à mort. Il a revendu les stupéfiants du crime, il vous l'a dit, et il aurait mieux fait de se taire. Il a fait tout ce qu'il a pu pour aider les autres. C'était le modèle. Il a renoncé à tout, pour que justice se passe. Bouziane n'a pas choisi, n'a pas décidé ce qui s'est passé ce soir-là. Vous ne pouvez pas retenir la préméditation. C'est impossible. Ils sont en affaire avec Azouz. Qu'est-ce qu'il va embarquer Boulma avec lui ?
Ils sont dans la voiture, et ça part sans qu'il l'ait vu venir. Sinon Boulma serait pas venu s'il savait ce qui allait se passer. Le seul qui craient encore quelque chose, parce qu'il a encore quelque chose à dire, c'est Boulma . Bouziane, lui, il a tout dit. Il s'est construit avec cette distance par rapport à la violence en étant un spectateur impuissant, un petit garçon caché sous la table, sous la nappe, en entendant son père cogner sur sa mère. C'est cet enfant qui a grandi avec cette peur panique qu'il pouvait se passer quelque chose d'épouvantable devant ses yeux et qu'il n'y pourrait rien. Et là c'est la nuit, c'est parti d'un coup, et il là, seul, dans cette voiture, et il se dit qu'est-ce que je fais. Ensuite, il n'a pas tapé pour tuer. Il n'a plus sa faculté de réfléchir. Il est prisonnier de ses angoisses.
Vous le condamenerez à la mesure de ce qu'il a fait, pas d'autre chose. Jamais il n'a été en situation de faire quoi que ce soit contre quelqu'un qui était dans cet état. Meme avec un couteau, il était désarmé. Le seul moment où il a eu un courage inoui, c'est quand il a décidé de se présenter devant vous. Vous devez au moins tenir du compte qu'il s'est réhabilité en ayant ce courage là ;
J'ai peur, parce que j'ai accepté de le suivre. Je n'ai pas essayé de le convaincre. Hier,la justice m'a fait un peu peur. Quand ce médecin légiste est venu nous dire n'importe quoi, qui n'a rien à voir avec ce qu'ils avaient écrit avant. Je voudrai vraiment que vous condamniez cet homme à la mesure de ce qu'il a fait. Mais pas à 18 ans, 20 ans. Ne les mettez pas dans le même sac. Ce n'est pas parce que vous ne savez pas, que vous devez condamner lourdement les deux. On ne rattrape pas deux erreurs judiciaire en commettant une autre injustice.
12 h 30 Gérard Christol
"Je pense que tout a été dit. Si nous sommes ici, c'est encore à la suite d'une erreur. A deux reprises, des hommes ont été condamnés par des jurés de parfaite bonne foi à 20 ans de réclusion criminelle. Il s'est trouvé que c'était une erreur. Et quelques années plus tard, le principal témoin, qui un jour dans un bistrot voyant un personnage prend la responsabilité d'écrire au procureur de la République ; j'ai quelque chose à vous dire, je crois que je me suis trompé. Avec ce que ça représente de courage de remettre tout en cause. Si tout ceci m'émeut, c'est parce que ça me concerne. Cette placette, je la traverse depuis 70 ans. Ce cimetière, j'y ai les miens à 400 m de là où ça s'est passé, et j'y retournerai lundi matin pour y enterrer un de mes meilleurs amis qui vient de mourir. Une affaire d'assises, c'est tout ce qui est dans le dossier, et tout ce qui n'y est pas. Aujourd'hui, vous allez juger un autre homme. Une sanction a un double sens, condamner un acte et un être humain, avec l'espoir que demain sera mieux qu'hier. Bouziane a déjà fait cette démonstration. Pour lui son avenir, c'est son passé. Quand je sais les difficultés de ma vieille cité qui fut appelée un temps la nouvelle Jéricho, la nouvelle Tolède, et qui accueillait en son sein l'élite d'Israel, à partir de laquelle était dispensé leur enseignement dans toute la région. LA fameuse faculté de médecine est partie de là.
Aujourd'hui Bouziane est un autre homme. Je ne sais pas si une partie de lui-même n'est pas morte ce soir là sur ce chemin de Lunel, et que n'est pas née une autre part de lui-même. Nous avons toujours cru dans cette très vieille cité de Méditerranée que tout pouvait recommencer. Que l'on pouvait attraper la lune, dans le canal, avec un panier percé. Et que l'on peut toujours repartir, malgré les drames et les tragédies. Je voudrai quand je retraverserai la Placette, avoir le sentiment qu'un peu de paix est retombé sur ces communautés.Il conclut en citant un poème de Frédéric Mistral : je voudrai qu'au terme de ces années de douleur,un peu de paix descende sur cet homme.
Les plaidoiries sont terminées. La parole est aux accusés.
Michel Boulma : "Je tiens à m'excuser auprès de tous les gens qui sont ici, la famille d'Azouz. J'aurai jamais pu faire ça. Je pense pas que j'aurai pu continuer à vivre comme ça. Je m'excuse de ne pas avoir parlé, de ne pas avoir dénoncé Bouziane avant. Il y a aussi les personnes qui ont été condamnées. J'aurai pu parler. Tout le monde souffre, tout le monde a souffert. C'est horrible ce qui est arrivé. J'ai honte de ca, c'est pour ça que j'ai jamais parlé. Je sais que j'ai mal agi. Je suis désolé".
Bouziane Helaili : "Je suis désolé. Je suis tellement désolé. Pardon".
13 h. L'audience est suspendue. Le jury se retire pour délibérer.
16 h : après trois heures de délibéré, le verdict va être annoncé
16 h 30, le président lit les réponses du jury : les deux accusés sont reconnus coupables d'assassinat. Une condamnation motivée par les éléments suivants :
-il est établi que tous les deux se trouvaient sur les lieux
-le très grand nombre de blessures constatées caractérise l'intention homicide
- les éléments constitutifs de la coaction sont réunis.
- la thèse de chacun des accusés manque totalement de vraisemblance.
Le crime a été commis dans un contexte de trafic de stupéfiants. Ils s'étaient nécessairement concertés préalablement à l'action. En conséquence, la cour condamne Michel Boulma et Bouziane Hélaili à vingt ans de réclusion criminelle.
La peine est plus lourde que ce qu'avait requis l'avocat général, qui n'avait demandé que 18 ans contre Bouziane Hélaili. Le verdict est accueilli en silence par une salle comble, où la présence policière a été renforcée, afin d'éviter tout débordement.